Ce matin nous partons de Osh avec comme objectif la fameuse route M41, la Pamir Highway. Cette route fait la jonction entre le Kirghizistan et le Tadjikistan, mais la frontière est fermée. Nous irons donc de Osh vers le Sud jusque Sari Tash. La route est belle et le premier col à 2400m est splendide avec beaucoup de verdure et des troupeaux un peu partout. I
l y a quelques bovins, et d’ailleurs beaucoup de veaux à cette saison. Des moutons en quantité avec toujours un ou plusieurs bergers. Mais lorsque les bergers turques, iraniens ou ouzbeks allaient à pied, à vélo ou à dos d’âne, les bergers kirghizes sont à cheval avec des dégaines de cow-boys. D’ailleurs les chevaux sont légions ici. Ils sont en liberté mais pas sauvages pour autant. Ils se regroupent naturellement en troupeaux de quelques individus mais on peut en croiser de plusieurs dizaines. A cette saison les poulains sont encore très jeunes. Ils passent une partie de leur temps à dormir allongés sur le flanc en groupes, parfois veillés par une ou plusieurs juments. Il se dit que le Kirghizistan compte une proportion importante des chevaux dans le monde. Je veux bien le croire!
Les bergers habitent des yourtes ou des baraques mobiles à flanc de coteau, proche d’un cours d’eau et donc souvent près de cette route de vallée. Ils semblent regroupés par groupes de quelques foyers à la fois. Les gamins sont nombreux et courent vers nous dès qu’ils nous voient. Ils connaissent souvent un ou deux mots d’anglais mais ils sont surtout visiblement heureux de nous voir, arborant de grands sourires et de belles morves au nez pour certains. Leur plaisir est de nous saluer et si possible de grimper sur les motos. Mais ils ne font pas cela pour un selfie puisque aucun n’a de téléphone portable, bien normal à leur âge ! C’est aussi cette ouverture vers les étrangers qui me frappe chez ces enfants, et cette liberté qu’ils ont de gambader à proximité de cette route où passent quand même des camions à bonne allure.
La vallée continue et nous arrivons dans un bourg. Il est midi passé et j’avise un restaurant. La patronne ne parle que russe mais pas nous. Heureusement la carte contient quelques mots d’anglais et nous optons donc pour une spécialité avec soupe de nouilles, viande de boeuf et saucisson de cheval. Du thé et de l’eau pour accompagner. Mais elle nous apporte aussi quatre bols avec une mixture blanchâtre et un peu grumeleuse. A l’odeur on sent la bière ou la levure. C’est du lait de jument fermenté. Le problème de cette boisson est que les ferments sont très locaux et pas très contrôlés… risque d’intoxication pour les estomacs qui ne sont pas habitués. Des histoire terribles de déshydratation féroces courent sur Internet. Chacun a au moins une connaissance d’une connaissance qui jure avoir été malade après avoir bu ce breuvage. Sans compter que la plupart des gens trouvent l’odeur et/ou le goût abominables. Il en faut plus pour me rebuter et je goûte donc. C’est bizarre au début mais pas abominable. A la deuxième gorgée on y prend goût. Je savoure donc mon lait de jument fermenté sous l’oeil réprobateur de mes compagnons de voyage qui me vouent aux pires maux dans les 10 minutes qui viennent; tous ces maux impliquant des rouleaux de papier toilette en nombre.
Le repas fini, il semble que mon estomac est moins sensible que la moyenne, et nous reprenons la route. Le second col est spectaculaire à 3600m d’altitude. La route est en bon état compte tenu de l’altitude et du passage des camions. Alors que je suis arrêté en haut du col, un bus arrive dont débarquent une bonne vingtaine de jeunes filles et garçons, entre 18 et 22 ans environ. Pour vous représenter la vision qu’ils ont soudain, imaginez croiser en haut du Col de l’Iseran un kirghize sur un cheval lourdement harnaché, l’aigle au poing, chapeau de fourrure et cape de peau. Ils se rapprochent un peu hésitants mais dès que je les invite à venir plus près ils se regroupent autour de ce phénomène de foire. Ils ne maitrisent pas l’anglais mais nous arrivons à parler en petit-n…. et avec les mains. Ils sont tous passés sur ma selle pour la photo souvenir. Nous faisons aussi une photo de groupe. Je finis par parvenir à remettre casque et gants pour repartir.
La descente vers Sari Tash est bien sûr splendide pour ce qui est de la route mais c’est quand nous découvrons la chaine du Pamir devant nous que l’émotion nous gagne. Les montagnes sont couvertes de neige et nappées de nuages orageux, mais nous devinons les géants droit devant au delà de la plaine qui est à nos pieds.
Ce soir nous dormons dans une guest-house. Le confort est sommaire mais l’essentiel est là et la maison est propre. Nous nous répartissons les chambres et certains vont déjà faire des photos sur la steppe qui débute juste devant la maison. Je passe un peu de temps à deviser au soleil avec les autres. Les conversations tournent autour du bonheur que nous avons d’être là, ici et maintenant, sur la route du bout du monde, en face de montagnes qui culminent à plus de 7000m. Sari Tash est à 3200m et nous sentons l’altitude lorsque l’envie nous prend de faire quelque effort. Dès que le soleil disparait dans les nuages avant de basculer sur l’horizon la température chute brusquement. On enfile les doudounes et le repas est vite servi. 21h, le ciel est voilé, rien à voir dans le ciel. Tout le monde au lit.
Quant à moi d’ai du mal à digérer le diner. Tant et si bien que je tourne et me retourne dans mon lit, ballonné et pas en forme. 22h30, le foie décide que c’en est trop et je rends mon dîner à la nature. Les tripes sont follement agitées et je me rends compte alors que si j’ai bien supporté le lait de jument fermenté pendant quelques heures, les bactéries qu’il contenait sont dans une lutte intestine avec mes propres colonies de flore intestinale. Bref, une nuit de m….
5h40, je me réveille, une nouvelle fois. Il fait jour. La mauvaise nouvelle c’est que je suis encore malade, la bonne c’est qu’il fait grand beau et que les montagnes sont dégagées.
6h30, branle-bas de combat; nous devons être avec nos motos à 7h sur la steppe pour une séance photo et vidéo. J’appelle le docteur qui nous accompagne. Auscultation et administration de quelques médicaments. Rien de grave a priori.
Dehors il a gelé et les motos sont encore givrées. Zéro degré au thermomètre, le moteur a un peu de mal à démarrer, comme le pilote. Mais sitôt sur la plaine face aux géants, j’oublie les tourments physiques et j’arbore mon plus beau sourire. On est bien là! J’ai une sacrée chance d’être là avec ma moto sur la steppe devant le Pamir, avec ces troupeaux de vaches et de chevaux qui quittent tranquillement le village pour aller chercher pitance.
Séance photo puis roulage méditatif de quelques minutes sur la steppe. C’est grandiose!
Il est difficile de relater ce qu’on ressent dans ces moments. Il y a de la louange en face de la Création, de cette nature si imposante et majestueuse. Il y a de l’humilité quand on sait que cette même nature si fragile pourrait bien se passer de nous d’une part et que nous passerons avant que tout ceci passe. Un sentiment de déranger aussi, de ne pas être totalement au bon endroit. Il faudrait revenir mais avec un dispositif plus léger, avec un bivouac à monter sur la steppe, un feu de camp à allumer, loin des motos qui ronflent (ou qui rugissent pour ceux qui ont leur pot Sapetoku) et des interpellations bruyantes entre motards. Devant ce paysage, il faut se taire et écouter le monde qui est tout sauf silencieux mais qui nous parle dans un souffle, à petits sons, comme des coups de pinceaux légers sur une toile de maître.
Après le petit déjeuner, que je limite à un thé pour m’hydrater, nous reprenons la route M41 dans l’autre sens avec les mêmes paysages splendides et les rencontres magnifiques. Un bouillon à midi et un cachet pour faire fuir la migraine et la journée se déroule sans encombres.
Nous dormons à Jalal Abat dans un hôtel de luxe, 5 étoiles. Quel contraste d’une nuit à l’autre entre une guest house dans la steppe et une grand hôtel en ville ! Je préfère le premier !
Merci pour ces belles descriptions, on voyage aussi!
Tous ces paysages, ces sourires, ces chevaux, … et ces délicieuses coutumes locales et fermentées qui se révèlent redoutables!
Les frontières ont l’air bien difficiles à passer vu le tracé de votre route…
Ici le soleil est au rendez-vous, on commence à penser aux vacances d’été, aux bbq entre copains. Grégoire est parti sur la route de Saint Jacques, tout seul, à pied, depuis bientôt trois semaines. Il a déjà bien dépassé Poitiers.
Le tout petit sourit, babille, et commence à attraper des objets. Bonheur de la grand-mère!
Je t’embrasse, Beau dimanche de la Trinité.
Merci pour ces nouvelles! Une grosse bise à Raphaël de ma part ! Bises!!
tes photos me rappellent bien des souvenirs de ce pays magique, c’était il y a une 15zaine d’années, mais je n’avais qu’un seul cheval sous les fesses durant 2 semaines !
je me rappelle bien aussi du koumis de jument ou de vache, tout frais mes compagnons de voyage, bien que kirghizes, ont eu les tripes en feu et accroché à la selle pour bien le secouer jusqu’à la fin de journée, il devient très acide mais délicieux.
j’espère que tu as aussi goutté le kurut, ces boules de « fromage* bien salé et étouffe chrétien !
bon voyage l’ami
Hello Missia! Nous n’avons plus eu l’occasion de goûter le kumis, mais j’ai goûté en effet le kurut sous diverses formes au marché de Bishkek. C’est en effet bien sec, sans un brin de moelleux et ça réclame, que dis-je, ça exige une grosse lampée d’eau pour avaler tout ça; la salive ne ssuffit pas. Et je me doute que traverser le Kirghizistan à cheval ce doit être quelque chose. Il faut vraiment que j’apprenne à monter sur ces bestioles… 😉
l’avantage de la bestiole par rapport à la moto, c’est qu’il y a une marche arrière ! par contre un peu plus capricieux …